JOUR 1
K-X-P
K-X-P propose un inhabituel personnel. Une guitare accompagne deux batteurs, toges et capuches sur le crâne. L’élément percussif est double. Ces soldats de Satan martèlent primitivement leurs fûts. Rigides comme des piquets, ils ne dévient jamais de leur mission, soit l’intempestive construction d’une infinie file indienne de sentencieuses rythmiques comme de mysticisme entendu. Tout cela trace droit. Il n’y a rien à redire. Clairement. D’autant plus que le guitariste ordonnance tout cela d’une main experte, son instrument à six-cordes en avant, fameusement luciférien. Car sa six-cordes, elle ne possède pas de tête. Ce n’est pas possible. Comment fait-il pour s’accorder : seul le Diable peut évidemment l’aider. Ou peut-être ses pédales d’effet. Nombreuses pédales qu’il a, en définitive, et qui troussent continuellement cette musique d’ondoyantes vibrations, qui massent sans cesse la conscience, qui caressent et perforent si fort les os du crâne qu’il est putain de plaisant de se laisser tomber raide mort dans cette lande noire où l’on ne distingue rien, si ce n’est l’évidente inutilité musicale des deux batteries, probablement là séant pour l’intérêt visuel. Au global, c’était tout de même très bon.
INDIAN JEWELRY
Les Indian Jewelry sont de fiers coquins. Ils pavanent tels d’infâmes parvenus sur une scène dont ils occupent l’espace de manière fort aléatoire. L’attitude est équivoque. Ils n’en font qu’à leur tête. Ces mauvais élèves, ces espèces de petits branleurs d’école d’art, ils ne feront pas illusion bien longtemps. Le guitariste de gauche, cet histrion, touche et retouche à sa casquette. Il s’emballe parfois, ne retient rien, gratte au hasard. Il descend de scène et bouscule les passants. Ce petit vandale, ce sale punk. Qu’il pose sa guitare, qu’il en joue, qu’il la débranche : quelle différence ? Il en est de même pour cette élégiaque percussionniste. Elle secoue ses biceps en cadence, un tom après l’autre, droite et rigide comme la pluie. Stoïque. Elle frappe ses fûts. Sans émotions. C’est tout à fait invraisemblable. Comme ce gars, là, élégamment attifé, qui joue avec le micro, parfois la guitare. Il en ressort une allure parfaitement antipathique. Il s’agirait de la personne qui me doublerait à la cantine, qui ne tirerait pas la chasse après avoir commis un méfait : cela ne m’étonnerait franchement pas. Sincèrement. Leur musique est d’ailleurs à l’avenant : un croisement délétère entre boite à rythmes ivrognes et guitares aigrelettes, servies sur un plateau d’argent par la gracile courbette des hypocrites. A vrai dire, je crois que j’apprécie grandement. Le tout paraît tellement improbable, verse avec insolence dans le bancal : les deux mâles de la bande s’appliquent à se faire cordialement détester par la foule suite à ces mouvements de parfaits jobards. Tout à l’air si calculé et spontané à la fois, je ne puis que me laisser séduire. J’aime à les mater. C’était chouette.
WAND
Alors même que King Khan – à l’aide d’un bon rock aussi sauvage que mécaniquement monotone – prend possession d’une foule prête aux plus indignes débordements, Wand s’ajuste poliment à l’intérieur. Ces quatre bonshommes présentent bien, sont propres sur eux, et affichent le mérite de proposer des riffs qui – j’emploie ici les guillemets – « bourrent grave le mou ». Positionnés sur un style déjà fort embouteillé par nos contemporains (Ty Segall, White Fence, air sympa, cheveux longs, chemise en flanelle, tout ce qui ressemble à un putain de hippie en 2015), ces gars-là s’en sortent à l’aise à l’aide de riffs tous plus élastiques les uns que les autres, à la consistance forte, à l’amplitude souveraine. Le style est affirmé. C’est un fait. Je ne suis pourtant pas client de ce genre de psychédélisme aviné, mais force est de reconnaître que je suis tombé en folle pâmoison devant cet orchestre au maximal potentiel de puissance.
BLANCK MASS
Blanck Mass. La moitié de Fuck Buttons. Benjamin John Power s’éloigne franchement du reste de la programmation. Ce ladre se contente de tourner des potards. Très bien. Mais il le fait avec l’honnêteté et la justesse des sagaces penseurs. De ceux qui respectent les anciens, également : tout ce brouillard distordu, cette lourde brume d’interférences et profondément dense, cela possède la même épique et poignante force, le même grandiose pouvoir que pouvait libérer les fières vagues électriques du bon Evangelos Papathanassiou, au sommet de son immense gloire. Blanck Mass livrera donc une bonne heure de douille électronique. Facilement. Toutes ces strates métalliques qui se liquéfient bouillantes et viennent directement irriguer le système nerveux : cela m’excite, vivifie le public, agite en profondeur une paire de forcenés au premier rang. Très bon. Très bonne entrée en matière avant les sacrés Melvins.
MELVINS
Les Melvins sont des fanfarons. Voilà dix ans qu’ils tournent en quatuor, accompagnés de leurs fidèles vassaux, les – par ailleurs excellents – troubadours de Big Business. Une basse, deux batteries, une guitare : la formule est maintenant commune. Connue de tous. Le piège est évident. Une demi-douzaine de concerts à Paris : la même exquise sensation de se faire défoncer à coups de batte, méchamment, les dents serrées. Cela peut susciter l’ennui, la redite, la facilité. Bien entendu, il n’en sera rien. Evidemment. Car les Melvins, en 2015 comme en 1990, jouent du putain de hard. Du hard façon massif bulldozer de riffs, imparable collection de douloureux uppercuts. Agressive et dédaigneuse suffisance, les quatre n’ont clairement pas changé. C’est très plaisant. Vraiment. La posture de fakir de Warren, les gants en cuir de Crover, le ventilateur caressant doucement la foisonnante chevelure du roi Buzz – lui-même fusillant du regard chaque importun montant montrer son petit cul sur la scène, tous ces détails qui rendent ce groupe maintenant si détestable, mais qui, seigneur, possède un savoir de patron, et montre toujours de quelle manière se faire diablement respecter. La setlist est dans l’esprit similaire aux précédentes versions: un panorama complet de leur expansive discographie, la reprise des Wipers est bien présente, tout comme cet exquis chant de footballeur bourré qu’est The Water Glass. Le concert est en tout point excellent, en tout cas fidèle aux solides prestations des américains, seul le son peine parfois à correctement se manifester. Rendant parfois certains morceaux méconnaissables. Mais bon. Je kiffe de ouf. Je n’y peux rien.
JOUR 2
DESTRUCTION UNIT
Destruction Unit. Matez donc ces indigents. Ils sont pouilleux. Véritablement sales. Je ne comprends pas. Je suis interdit. C’est donc ça, le rock, en 2015 ? Gratter sa guitare comme un animal ? Gesticuler comme un énergumène ? Grimacer comme un hors-la-loi ? Non. Que ces mutins se calment de suite: casser l’ordre moral ne suffira pas. Le vandalisme n’a clairement pas sa place ici. Cela dit, le guitariste en face de moi semble plutôt mignon. Leur style de moribonds jocrisses est plutôt plaisant. Et puis, comment rester insensible à cette décharge en cascade d’innombrables trajectoires de larsens, bruissant, éreintants, totalement écrasants ? Je crois que je les apprécie, ils sont finalement convaincants. Les trois guitaristes donnent ouvertement de leur personne, s’abattent et s’écroulent sous le poids incertain d’une paire d’aliénantes mornifles. Pas plus de deux riffs par morceau, cela file indifféremment, tout droit, presque bêtement. C’est incomparablement abruti, et pourtant fabuleusement excitant. Le batteur et le bassiste tiennent l’assise de la chose, pendant que le gars aux machines, à l’extrême droite, ne se fait pas entendre. Le zbeuhl est absolu. Littéralement. Destruction Unit captive par son intense sauvagerie, même si cette bande de vauriens se videra petit à petit de son sens à force d’allumer tout ce qui bouge. Ces barbares.
DEATH & VANILLA
Fort heureusement, Death & Vanilla rappelait à l’ordre tout cette masse d’écervelés. De la discipline, des mesures carrés et de mélancoliques mélodies. Un vibraphone. Un groupe suédois ! Voilà qui apaise les esprits. Voilà qui nous replace facile dans le droit chemin. Les trois de Malmö auront donc doucement étourdi une foule déjà groggy par nos amis de Destruction Unit, à tel point même que l’on sentait un public quelque peu dissipé, attendant sereinement que cela passe.
LUMERIANS
Pendant que Flavien Berger arrosait le public de ses sémillantes plaisanteries, nous allions nous restaurer. Mon ventre est désormais plein. Le système digestif fonctionne à plein régime. Je suis entièrement satisfait. Ce sont dans ces optimales conditions d’appréciation et de grande critique musicale que les Lumerians niquent bien l’intégralité de l’histoire du rock en débarquant sur scène parés de toges étincelantes. Ce style est bon. Lumerians transmet un efficace psychédélisme. Simple. Entendu mille fois. Apprécié d’autant plus. C’est-à-dire que le quatuor « fait le boulot ». Je parle trivial. Je le sais. Mais c’est indéniable. Les américains auront parfaitement « fait le boulot ». Ni plus, ni moins. Excellent concert, donc, des Lumerians d’Oakland.
TESS PARKS & ANTON NEWCOMBE
Suite à cela, Tess Parks & Anton Newcombe foulent la scène intérieure. « I Declare Nothing ». Ces jeunes gens ne déclarent rien. Nihilistes. Perroquets. Affabulateurs. Je le savais. Cela dit, ce tranquille psychédélisme s’impose facilement, coule de source, probablement. Il est toujours plaisant d’entendre Newcombe délivrer une pleine poignée de riffs mystiques et définitifs, ici-même élevés par la voix lascive de Tess Parks. Quelques morceaux tutoient sans peine une majesté de fainéant, German Tangerine, notamment. Fort bon.
MELODY’S ECHO CHAMBER
Suite aux romantiques circonvolutions des suédois de Dungen, Melody’s Echo Chamber clôture la troisième édition du festival psychédélique d’Angers. Je n’attendais rien de ces bonnes gens-là. J’ai pourtant réceptionné un ensemble d’ondes de style, une virevoltante rafale d’affection, un bouquet franchement comblé d’élégantes intentions. Ils ont la maîtrise. Je ne pensais pas dire ça, un jour, d’une troupe de musiciens. Je ne pensais pas que cela pourrait me plaire. Mais ils savent jouer. Souffler le chaud et le froid. Taper juste. Seule la chanteuse peine à suivre, sa voix semble faible, ses feulements de chat égaré, lointains. Le reste s’impose si facilement comme quelque chose d’essentiel, cela termine en juste beauté un festival qui, ma foi, aura fort bien tenue ses promesses. Rendez-vous donc l’année prochaine.
Crédit photos: Nicolas Morillon